mercredi 23 décembre 2015

Société normative

« Une société d’images » 


     Afin de traiter de manière originale de la question du féminisme dans notre société basée sur le paraitre, je décide d’évoquer les troubles du comportement alimentaire. Ce sujet transversal recoupe à la fois mon expérience personnelle et la conférence de Judith Butler sur laquelle nous nous sommes tous appuyés. 

Introduction

           La conférence de Judith Butler est une des bases fondamentales de cet article car elle fait sens aux idées qui vont être développées en suivant. 
        Judith Butler pose, notamment au travers de ces travaux, la question du genre et des normes dans le genre (cf : Trouble dans le genre). Son objectif est de déconstruire l'apriori selon lequel l'être humain possède en lui de manière innée un idéal de genre prédéfini : masculin ou féminin. Pour cela, elle montre qu'il n'existe aucun lien entre le sexe et le genre et ainsi que ces idéaux de genre existent uniquement parce qu'ils sont répétés comme des modèles au fil du temps. Les normes du genre deviennent une forme d’appartenance qui se construit au fur et à mesure de son existence à l'aide de pratiques habituelles et de contraintes imposées par des normes sociétales. 


     Elle renvoie l’image éloquente d’une société basée sur l’image. Nous voyons cette idée notamment lorsque cette dernière évoque les normes du cinéma hollywoodien. Son discours montre combien l’individualité disparait face à la massification des traits de caractère. « Les normes qui n’ont de cesse d’éliminer » continuent cependant à être mises en avant dans les médias. La conséquence directe est donc une image idéalisée de la femme, c'est ce point que je m'attache à développer dans cet article. 


     D’un point de vue nettement plus personnel, ce sujet fait intervenir mon expérience professionnelle antérieure. En effet, avant d’intégrer cette licence, j’ai obtenu un Diplôme Universitaire Technologique en option diététique. J’ai donc réalisé plusieurs stages en autonomie en tant que diététicienne. J’aimerai partager, avec vous qui me lisez, mon histoire qui permettra je vous l’assure d’illustrer et d’étayer les propos présentés ci-dessous. 



Histoire personnelle 

          Mes multiples consultations diététiques m’ont permis de tirer diverses conclusions quant à cette problématique de norme sociétale. S’il s’agissait ici de donner un avis succinct j’aimerai avouer que les femmes ne sont pas aussi influencées par les images véhiculées que ce qu’on voudrait bien penser. En outre, la réalité qui s’est imposée à moi s’est révélée toute autre. Notons que j’ai eu l’occasion de m’exercer dans un grand centre hopitalier traitant toutes sortes de pathologies et dans un hôpital psychiatrique. Certes ce genre de détail ne semble pas détenir une importance capitale à ce stade de mon développement mais il faut tout de même savoir qu’une forme de constance persiste et ceci quelque soit le milieu sur lequel j’appuie mes dires. 

      Intéressons nous tout d’abord aux patientes hospitalisées pour des problèmes de santé relativement importants. Lors des passages en chambre, une chose aussi étonnante que paradoxale se produisait. Mes patientes s’accordaient toutes pour se préoccuper d'un seul et même point : la prise de poids. Le régime thérapeutique mis en place devenait secondaire comme si une quelconque variation de poids était le seul élément à charge. Cependant ces mots, ces questions et problématiques étaient devenus une sorte de discours habituel. La plupart passaient outre la préoccupation purement médicale. 
         Poursuivons, certaines que je consultais pour de simples visites de contrôle me demandaient tout de même de leur prescrire un régime hypocalorique sans aucune raisons véritables. Qu’importe la nature de la preuve apportée comme par exemple un Indice de Masse Corporelle (IMC) normal, ces femmes me répètent à tue tête qu’elles se trouvent, pour les citer, « trop grosses d’ici et là… ». Si je devais parler des femmes en général beaucoup ont un nombre de représentations sur l’alimentation absolument astronomique et je pèse mes mots. Ne vous étonnez plus d’entendre dire que les féculents doivent être absolument écartés de l’alimentation sous peine de prendre du poids. Ne vous outrez plus non plus d’entendre dire que les fruits et légumes sont à la base de l’alimentation, que les matières grasses sont à bannir et qu’elles pourraient provoquer des infarctus à répétition. N’allez pas croire ici que je grossis les traits pour les bienfaits de mon article car j’aimerais le croire aussi. 

           Enfin, je voudrais évoquer ici mon expérience en milieu psychiatrique. Oui, j’entends que cela n’a rien à voir et que lorsque nous sommes « malades » le poids n’a pas d’importance. Et bien détrompez-vous car j’ai eu l’occasion de remarquer que les préoccupations pondérales se retrouvent aussi dans ce cadre pourtant si particulier. Il semblerait alors que la norme ait une emprise sur toutes les femmes et traversent bien au delà des affections mêmes psychiatriques.


       Alors serions nous dans une société uniquement basée sur l’image que l’on renvoie ? Nous tenterons ici de comprendre comment un tel phénomène a t-il pu être créé. Il ne s’agit en rien d’une stigmatisation qui nuirait à la qualité des propos avancés. 

Le bombardement médiatique qui façonne une image biaisée de la femme  

          Les médias connaissent une montée en puissance exceptionnelle ces vingt dernières années. Ils influencent considérablement la manière dont les normes sociales et culturelles concernant la femme et le genre sont conçues et évoluent. Jamais dans l’histoire, les médias n’ont joué un rôle aussi important dans la socialisation des êtres humains. Aujourd’hui nous pouvons parler d’une certaine omniprésence, ils sont devenus un élément obligé de la vie quotidienne réussissant même à rythmer nos occupations.  

« On ne peut nier l’importance économique, sociale et culturelle des médias dans le monde moderne. Les médias sont un secteur industriel majeur. Ils dégagent des bénéfices et créent des emplois. C’est par leur intermédiaire que nous prenons connaissance de la plupart des informations dont nous disposons sur les événements politiques; ils nous présentent des idées, des images et des représentations (factuelles ou fictionnelles) qui inévitablement façonnent notre vision de la réalité. Dans le monde contemporain, les médias sont sans aucun doute le moyen d’expression culturelle et de communication le plus important: une participation active à la société suppose nécessairement qu’on fasse usage des médias modernes. » Extrait de «L’éducation aux médias, un kit à l’intention des enseignants, des élèves, des parents et des professionnels» UNESCO, 2006


           Ainsi, dans notre société de consommation, de la profusion de l’information, et des nouvelles technologies l’image détient une place des plus importantes. De plus dans l’ère des nouvelles technologies l’information devient accessible immédiatement. Notre cher compagnon de route Google
® se charge de rechercher ce qui lui est demandé dans la seconde. Faites ce petit test simple et rigolo : tapez dans la  barre de recherche « femme mince » Google® vous affichera environ 1 150 000 résultats en 0,38 secondes maintenant tapez « homme mince » il trouvera « seulement » 925 000 résultats en 0,42 secondes. Le plus étonnant se situe au niveau des titres de premiers liens sur lesquels nous sommes invités à cliquer. Pour les femmes nous trouvons ceci : « Les petits secrets des femmes minces - Pour manger équilibré » ou encore « Pourquoi les hommes préfèrent les femmes minces » alors que tu côté masculin il s’agit plutôt de ce genre de propos : « Les Hommes Minces Dégoutent Ils? ». Ce petit jeu met immédiatement en lumière la rupture entre l’image de l’homme et celle de la femme. Une femme mince renvoie à une femme qui plait et qui s’est plaire. Nous avons là l’image d’une femme séductrice qui s’assume. Clairement le pouvoir est tenu par l’homme qui se place en position d’observateur mais surtout de juge. 


      Partons cet élément de réflexion. Les médias ont pour rôle de nous communiquer des informations dénuées de toute prise de position afin de garantir et de préserver notre chère démocratie. En effet, les médias que nous connaissons sont indépendants des autorités politiques ce qui suppose qu’ils ne sont soumis à aucune réprobation. En revanche, ils ont aussi le pouvoir de faire circuler des messages et des images à une vitesse ahurissante, surtout depuis l’apparition des réseaux sociaux, du monde entier au monde entier. Nous pouvons ainsi dire qu’une forme de sélection, qui  certes ne s’apparente pas à de le censure, s’opère tout de même sans que le lecteur en ait parfois même conscience. Autrement comment expliquer le fait que quelque soit la chaine de télévision regardée, la radio écoutée, le magazine choisi nous retombons sans cesse sur les mêmes intentions ? Comment pouvons nous encore croire à la neutralité lorsque nous avons connaissance de cela ? Il semblerait que la femme soit constamment soumise à des idéaux de minceur sans qu’elle puisse les éviter. La femme perd ainsi toute distance critique prenant pour vérité absolue les manipulations médiatiques qui façonnent minutieusement l’image de la « femme parfaite ». 

          Prenons un exemple très concret qui parlera à tous nos lecteurs : le fameux concours « Miss France ® » qui s’est tenu il y a peu de temps à la télévision réunissant, pour info, près de 8 millions de personnes occupant ainsi 37,8% des audiences totales. Nous sommes nous déjà demandé quelle image de la femme était véhiculée lors de cette émission ? Sur quels critères se basent l’élection de la plus belle femme de France ? Inutile de murir bien longtemps la question lorsque l’on voit leur étonnante ressemblance morphologique. Leur forme longiligne est ce qui importe le plus. Mais en quoi mesurer plus d’un mètre soixante dis pour moins de cinquante kilos nous rend t-elle plus belle et féminine comme le direz Judith Butler ? La beauté n’est-elle pas subjective ?  

“Ce n'est pas l'apparence qui fait la beauté d'une femme, c'est son rayonnement”David Safier


          Pour entrer encore davantage dans le sujet de départ inspiré par Judith Butler nous pourrions évoquer l’image de la femme dans les publicités pour des aliments minceur (enfin parfois ils n’ont de minceur seulement le nom…). Prenons au hasard la publicité de Weight Watchers ® :

Figure n°1 : Publicité Weight Watchers  ®

Cette publicité démontre à elle seule que la femme est dépendante à la norme. Elle nous donne la fâcheuse impression qu’une femme ne peut être épanouie seulement après avoir perdu du poids. L’impression que toutes les activités amusantes lui étaient interdites jusque ici. Faire le « bon poids », si tenté que cela puisse exister, serait donc l’élément indispensable à la réalisation de soi-même. Il n’y a qu’à voir le sourire presque niait qui se dégage de l’actrice du jour ainsi que la nature des propos tenus « ça a changé ma vie », « maintenant je me sens bien ». On sent nettement l’opposition entre la vie d’avant celle dans laquelle rien n’était possible et cette nouvelle vie qui se présente. 

          Voici un autre exemple tout aussi cocasse que le précédent. Cette fois une publicité pour des gélules favorisant la perte de poids. 

Figure n°2 : Publicité XL-S Médical ®

Ici, l’actrice emploie ces mots « et me revoilà ! » comme si elle s’était précédemment oubliée. Nous  voyons aussi apparaitre l’idée de « maladie » voire d’une affection qu’il faudrait à tout prix soigner. Il faudrait ainsi avoir recourt à des spécialistes étant à même de prendre en charge le problème. Cet élément fait encore davantage croitre son importance et exigence associée. 
      Il semblerait que l’accumulation de stéréotypes devienne la norme, une manière universelle de faire mais aussi d’être. La norme rassemble alors que la différence divise. L’Homme ressent donc le besoin de se normaliser notamment grâce à son apparence physique. Cependant, certaines de ces femmes développent une forme de troubles plus importante allant jusqu’aux troubles du comportement alimentaire afin de répondre toujours davantage aux images véhiculées par les médias (anorexie, boulimie, hyperphagie…).
Face à ce constat aussi accablant il est bien difficile de répondre aux attentes féministes de Judith Butler qui croit encore qu’une émancipation est possible. 


Une entrée dans la norme difficile : troubles du comportement alimentaire  

         Partons d’une brève définition : les Troubles du Comportement Alimentaire (TCA) se présentent sous plusieurs formes plus ou moins connues dont l'anorexie et la boulimie, ce sont des psychopathologies. Les TCA sont susceptibles de toucher des personnes de tout âge cependant les adolescents et notamment les filles sont nettement plus concernées. 
En effet, c'est à cette période que l'enfant se construit et c'est également le moment où il est le plus vulnérable donc le plus susceptible d'être affecté par une ou un ensemble de normes sociétales. Nous pouvons d'ores et déjà faire le rapprochement avec la construction du genre qui débute dès le premier âge et ce poursuit dans cette même période. Un besoin d’identification se fait donc fortement ressentir dans cette phase de bouleversements intenses. 
Notons que 90% des personnes touchées par les TCA sont des femmes mais alors pourquoi une telle répartition ? La réponse n’est pas immédiate car plusieurs facteurs entrent en jeu dans le développement de cette pathologie cependant il est possible de mettre en lumière quelques éléments de réflexion pouvant expliquer cette disparité.


         La puberté débute plus tôt chez la fille qui subit aussi des modifications corporelles certainement plus importantes « élargissement des hanches », « développement de la poitrine », « apparition de poils », « apparition des menstruations » et surtout une « prise de poids » qui peuvent troubler leur développement. On note aussi un refus de grandir plus net chez les petites filles. Or ces fillettes se conforment à des images de femme totalement faussées; alors que se passe t-il lorsqu’elles s’aperçoivent en grandissant que leur corps n’est pas identiques à celui des magazines ? 
Dans cette société qui ne prépare  pas à ces changements la maladie est l’ultime solution concrète pour fuir ce genre de questions. Les jeunes femmes se concentrent ainsi une une chose concerte que l’on peut contrôler : le poids. Il faut garder à l’esprit le fait que les TCA sont un phénomène récent qui apparait dans une société dans laquelle la jeunesse s’est individualisée. 

              Pour en revenir à l’émancipation de la femme nous pouvons avancer l’idée qu’elle n’y est pas pour rien dans l’apparition des TCA. La femme du XXI ème doit posséder plusieurs cordes à son arc, tantôt mère au foyer, femme d’affaire, épouse… Or ces multiples rôles ne sont pas toujours compatibles entre eux ce qui crée de la confusion d’où cette nécessité d’autant plus forte de se conformer à un idéal de beauté, de minceur. 

Mélody DELRIEU






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